CHAPITRE 4

 

Il est plus d’une heure du matin, mais je ne rentre pus tout de suite chez moi. La vampire que je suis trouvé cette heure tardive plutôt agréable. Et puis, depuis que je ne suis plus humaine, j’ai découvert que je n’ai pas besoin d’autant de repos qu’avant – un petit somme par-ci, par-là me suffit amplement. Même quand le soleil est au zénith, mes pouvoirs n’en sont pas affectés. Une fois de plus, j’attribue ce changement au fait que je me suis servi du sang de Yaksha pour procéder à ma transformation.

Le sang de Yaksha, auquel j’avais ajouté quelques gouttes de celui du bébé de Paula.

Tout comme Seymour, j’en ressens l’influence jusque dans ma vie quotidienne.

Je décide de me rendre au Joshua Tree National Monument, et lorsque j’y arrive enfin, la lune est levée depuis longtemps. Le parc naturel est immense, et je n’ai pas la moindre idée de l’endroit où se tenait Paula quand la lumière bleue a jailli du ciel pour répandre sur elle sa bénédiction. Tout ce que je sais, c’est qu’elle était assise au bord d’une falaise, et qu’elle admirait le coucher de soleil. Elle prétend que le lendemain, une fois la lumière bleue disparue, les yuccas avaient grandi.

— Autour de moi, les yuccas avaient poussé – ils étaient tous plus grands que la veille.

— Tu en es certaine ?

— Absolument. La taille de certains avait même doublé.

Je gare la voiture dans un endroit que je juge à ma convenance, puis je commence à marcher sur le sable. Le clair de lune, qui déverse sur moi sa lueur argentée, semble jaillir du sommet de mon crâne, et cette impression me rappelle la fois où j’ai survécu à une explosion nucléaire en plein désert, à Las Vegas : j’avais survécu grâce au clair de lune, dont la lumière avait pénétré dans chacune des molécules de mon corps pour m’emporter très haut dans le ciel. Et tandis que je marche dans le sable parmi les yuccas, qui se dressent autour de moi tels des sentinelles d’un autre âge, j’ai l’impression de décoller à chacun de mes pas. C’est comme si chaque foulée me faisait rebondir, et j’avoue que cette idée me grise. Ah, m’envoler vers les étoiles et fuir la prison dans laquelle m’enferment tous mes problèmes… Mes bras nus commencent à luire : il émane d’eux une sorte de luminescence laiteuse et transparente à la fois. Pour un peu, je pourrais presque voir à travers ma propre chair.

C’est alors que je reconnais l’endroit. Une intuition foudroyante me dit que je suis arrivée, et je n’ai même pas besoin de vérifier autour de moi si les yuccas ont effectivement la taille indiquée par Paula. Je sais que je suis au bon endroit, c’est tout. Le sable irradie la tranquillité, et même la pureté, et cette sensation envahit tout mon être. De toute évidence, quelque chose de fort s’est produit ici. Une minute me suffit pour me retrouver à mon tour au bord de la falaise, à l’endroit où, j’en suis convaincue, Paula a conçu son enfant. Levant les bras vers les étoiles, je m’écrie :

— Suzama ! Montre-moi ce que tu as vu !

Pas de réponse, du moins pas de réponse claire. Mais je me sens soudain terrassée par une fatigue Inexplicable, et je m’assoies. Fermant les paupières, je commence à méditer, calquant le rythme de ma respiration sur celui du mantra secret que je récite en silence. Bientôt, un flot de lumière se déverse, non pas du ciel au-dessus de ma tête, mais à l’intérieur de moi, et je me perds dans le souvenir étrange de nuits bouleversantes passées aux pieds d’une médium adorable, qui a assisté à la naissance de Dieu, mais aussi à sa mort. Évidemment, Suzama n’est pas morte aussi jeune sans raison, et il n’est pas impossible que j’y sois pour quelque chose.

 

* * *

 

Quand je suis arrivée en Égypte, cinquante années s’étaient écoulées depuis la mort de Krishna, qui avait marqué le début d’une ère funeste, connue sous le nom de Kali Yuga. Suivant une caravane qui revenait d’Orient, des milliers d’années avant l’aventure de Marco Polo, je suis arrivée dans une Égypte qui regorgeait de splendeurs et de richesses. L’Égypte m’a éblouie, c’est vrai, surtout que j’étais également soulagée d’avoir quitté l’Inde, où Yaksha venait de déclarer une guerre sanglante contre tous les vampires, ayant juré à Krishna de les exterminer jusqu’au dernier.

Le soleil égyptien était difficile à supporter pour une jeune vampire comme moi. Voyageant à dos de chameau, j’étais forcée de me protéger des ardeurs du soleil en enveloppant ma tête d’un épais turban, Malgré ça, les rayons brûlants me perforaient le crâne, desséchant mon cerveau et laminant mes forces, mais la Grande Pyramide, quatre fois plus grande que celle qui porte ce nom aujourd’hui, m’emplit d’admiration dès que je l’aperçus. Recouverte de plaques d’ivoire étincelantes, encapuchonnée d’or massif, la vision de cette merveille me coupa le souffle. Et tandis que le soleil brûlant chauffait mon sang déjà bouillant, je ne pensais qu’à pénétrer à l’intérieur de la pyramide pour me reposer dans la fraîcheur de sa pénombre, et oublier toutes les épreuves qui avaient jalonné mon voyage. L’une des premières personnes que je rencontrai en arrivant en ville fut Suzama, et ce n’était pas une simple coïncidence, j’en ai la certitude.

Ce jour-là, elle n’était pas encore devenue la grande prêtresse qu’elle serait plus tard. Âgée d’à peine seize ans, avec de longs cheveux noirs et des yeux étincelants de bonté, elle portait la simple toge blanche des esclaves. Je la vis se pencher au-dessus du Nil pour y puiser de l’eau dans une grande jarre en terre cuite. Perchée sur mon chameau – épuisé, lui aussi – je me suis lentement approchée d’elle, et j’ai eu l’impression qu’elle se raidissait en m’apercevant. Elle a jeté un coup d’œil par-dessus son épaule, comme si elle avait senti que je la regardais. Plus tard, elle devait me confier qu’elle avait déjà eu, plusieurs fois, la vision de mon arrivée. Lorsque nos regards se sont croisés, mon cœur s’est emballé. Et même si je ne me souvenais pas de l’avoir vue dans l’un de mes rêves, j’ai immédiatement su que je n’oublierais jamais son visage…

N’importe où ailleurs, à n’importe quelle époque, Suzama aurait été considérée comme une femme séduisante, mais elle n’était pas simplement belle. Elle tirait son élégance de la vie austère et parfois pénible qu’elle menait, et sa jeune beauté, bien que marquée par les épreuves, n’en était que plus fascinante – comme si elle avait survécu aux souffrances d’une multitude de vies terrestres, et que son âme ait ainsi transcendé jusqu’à l’idée de la mort. Suzama était à la fois pure et sensuelle, et dès qu’elle souriait, ses lèvres charnues vous donnaient envie de l’embrasser. Dès que je l’ai vue, je l’ai aimée comme je n’avais encore jamais aimé quelqu’un, à l’exception du Grand Krishna.

Tendant vers moi sa cruche, Suzama m’a offert un peu d’eau.

— Je me nomme Suzama. Dis-moi qui tu es.

— Je suis Sita, ai-je répondu, lui révélant tout de suite mon véritable nom. J’ai bu l’eau qu’elle m’offrait, et j’ai rafraîchi mon visage poussiéreux. En ce temps-là, l’eau du Nil était claire et fraîche, et douce aux assoiffés. J’ai peur qu’il en soit autrement de nos jours.

— Je ne connais pas ton pays.

Suzama a secoué la tête.

— Cette terre est la tienne.

Puis elle a posé une main sur son cœur, et j’ai vu que des larmes embuaient ses yeux.

— Je sais qui tu es, Sita. Grands sont tes pouvoirs.

C’est ainsi que j’ai assisté, pour la première fois, à une démonstration des dons psychiques de Suzama.

Elle avait des choses une connaissance intime qui ne devait rien aux influences extérieures. Plus tard, j’en suis même venue à penser que pour elle, le monde tout entier n’était qu’un rêve unique. Pourtant, paradoxalement, ce rêve pouvait la rendre intensément malheureuse : au fond d’elle-même, elle éprouvait des sentiments énigmatiques, qui l’éloignaient sans regret des passions matérielles, mais qui, en même temps, faisaient d’elle une femme passionnée. Quand elle m’a prise par la main pour me conduire chez elle, dans sa famille, j’ai eu l’impression de suivre un ange. Ce que je ne savais pas encore, c’est que pendant les trois années et demie qui allaient suivre, je ne la quitterais presque jamais. Elle n’avait pas encore conscience de la mission qui l’attendait, mais la révélation allait bientôt la foudroyer. Et moi, je serais son tonnerre…

La soif du mal
titlepage.xhtml
Pike,Christopher-[La vampire-5]La soif du mal(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_000.html
Pike,Christopher-[La vampire-5]La soif du mal(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_001.html
Pike,Christopher-[La vampire-5]La soif du mal(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_002.html
Pike,Christopher-[La vampire-5]La soif du mal(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_003.html
Pike,Christopher-[La vampire-5]La soif du mal(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_004.html
Pike,Christopher-[La vampire-5]La soif du mal(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_005.html
Pike,Christopher-[La vampire-5]La soif du mal(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_006.html
Pike,Christopher-[La vampire-5]La soif du mal(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_007.html
Pike,Christopher-[La vampire-5]La soif du mal(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_008.html
Pike,Christopher-[La vampire-5]La soif du mal(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_009.html
Pike,Christopher-[La vampire-5]La soif du mal(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_010.html
Pike,Christopher-[La vampire-5]La soif du mal(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_011.html
Pike,Christopher-[La vampire-5]La soif du mal(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_012.html
Pike,Christopher-[La vampire-5]La soif du mal(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_013.html
Pike,Christopher-[La vampire-5]La soif du mal(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_014.html
Pike,Christopher-[La vampire-5]La soif du mal(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_015.html
Pike,Christopher-[La vampire-5]La soif du mal(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_016.html
Pike,Christopher-[La vampire-5]La soif du mal(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_017.html
Pike,Christopher-[La vampire-5]La soif du mal(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_018.html